Saint-Brieuc. Berceau de la petite Rosengart

En 1916, l’industriel français Lucien Rosengart qui, en pleine guerre, fabrique notamment des obus pour l’armée, s’installe au port du Légué, à Saint-Brieuc, afin de s’éloigner du front.

Le port du Légué, où Lucien Rosengart avait implanté ses ateliers.

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En 1916, l’industriel français Lucien Rosengart qui, en pleine guerre, fabrique notamment des obus pour l’armée, s’installe au port du Légué, à Saint-Brieuc, afin de s’éloigner du front. Douze ans après, naît ici la fameuse petite auto portant son nom. À l’évidence, cet homme-là est un surdoué de la mécanique. Il possède en la matière tous les talents et il sait tout faire. Aussi bien des vis, des boulons inoxydables, des fusées à canons, des appareils d’éclairage pour les vélos, que des canots avec moteurs hors-bord… Il est d’ailleurs à l’origine du premier salon nautique fondé par Peugeot en 1926 : à cette occasion, il avait redressé le fameux lion, emblème de la marque emprunté au blason de la Franche-Comté. Et le comble est que cet ingénieux et énigmatique personnage professe des théories exactement à l’opposé de ses propres inventions. Mais c’est un fait qu’il a de qui tenir. Habile de ses mains, son père a lui-même créé une entreprise de mécanique de précision et terminé sa carrière comme ingénieur. De sorte que lorsque le petit Lucien voit le jour, en janvier 1881 à Paris, il tombe d’emblée dans le chaudron. Avant même l’adolescence, il passe des heures entières à bricoler des pièces de mécanique, y compris des horloges, ce qui lui vaut le sobriquet de « brise-pendule » de la part des ouvriers de l’atelier paternel.

La côte… d’amour !

Nanti d’un CAP et le service militaire terminé, son intérêt se porte principalement sur l’automobile, laquelle s’avère a priori comme un marché porteur. Au point qu’en désaccord avec son père, il quitte la modeste affaire familiale pour s’installer à son compte. C’est le début d’une véritable aventure qui, les circonstances aidant, va le conduire de Paris au port du Légué, à Saint-Brieuc. Pourquoi le chef-lieu des Côtes-du-Nord ? En premier lieu parce que la ville est desservie par le chemin de fer et ouvre directement sur la Manche ce qui favorise les exportations ; ensuite en raison de la main-d’oeuvre à bon marché ; enfin et surtout, du fait que Lucien Rosengart est devenu amoureux de ce département vers 1905 lors de parties de chasse avec un architecte parisien de renom, Paul Marteroy. À l’occasion de l’une d’elles, ce dernier lui annonce son intention de faire de la plage des Rosaires, toute proche, une station balnéaire. « Êtes-vous partant ? », lui demande-t-il. La réponse est immédiate. Et voilà donc Rosengart en quête de fonds pour mener à son terme le projet.

Le rêve accompli

Mais on imagine bien qu’au-delà de l’ambition de promouvoir les Rosaires au rang de villégiature mondaine, des idées plus réalistes travaillent l’esprit de cet industrieux autodidacte à la tête emplie de matière grise. Nous sommes en 1916, et la Grande Guerre sévit toujours. En accord avec le ministère, Lucien Rosengart acquiert au Légué un terrain de 30 hectares précédemment occupé par la scierie Sebert et y construit une usine fabriquant des fusées pour les obus de mortier. Et c’est dans ce contexte militaire qu’après la signature de l’armistice avec l’Allemagne, survient l’événement qui va réorienter la production de l’entreprise. À Paris, Rosengart dîne un soir avec André Citroën, en proie à des difficultés financières causées par la mévente de sa voiture récemment mise sur le marché. En lien avec ce dernier et sur sa proposition, il entrevoit alors la perspective de réaliser son rêve de jeunesse : construire des automobiles. Un rêve qui verra le jour en 1928 au Légué sous la forme d’une petite 5 CV à quatre places portant naturellement le nom de Rosengart.

Un authentique visionnaire

« Elle n’est pas très belle, mais ce n’est pas ça que je recherche », avoue humblement son constructeur qui, entre-temps avait collaboré avec Peugeot, ajoutant que « l’auto n’est plus un objet de luxe mais un instrument de travail ». Visionnaire avant l’heure sur ce point, il fait valoir que les routes, encore à l’âge des transports hippomobiles, seront de plus en plus saturées et l’essence de plus en chère. S’impose donc la nécessité d’utiliser des voitures économiques et peu encombrantes. Il en fait du reste la remarque en 1929 à une dame de la haute société parisienne qu’il voit arriver au volant d’une énorme Packard lors d’une soirée mondaine. « Et vous, rétorque la jeune femme, comment pouvez-vous jouer encore avec des voitures d’enfants ? ». Bien qu’acerbe, la critique ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd. Six mois plus tard Rosengart sort de ses ateliers le prototype d’une Super-Six qu’il s’empresse de montrer fièrement à la demoiselle en question, nommée Gabrielle Maugey, laquelle est cette fois doublement séduite puisqu’elle épouse le concepteur.

Le succès d’Yffiniac

Outre le sauvetage financier de Citroën et Peugeot au lendemain de la Première Guerre, un événement a particulièrement marqué l’aventure de Lucien Rosengart au Légué, où il employait, à l’époque, environ 4.500 personnes. Il s’agit de la légendaire coupe du monde automobile créée en 1905 par le chevalier Florio et remportée en 1926 par Peugeot. Membre influent du conseil d’administration de la marque au Lion, Rosengart accepte l’année suivante de remettre en jeu le trophée, à condition que l’épreuve se déroule près de Saint-Brieuc. En sa double qualité de capitaine d’industrie et de président de l’Automobile Club des Côtes-du-Nord, il entend ainsi promouvoir cette côte bretonne où il a construit Ker Avel, sa maison de Plérin. La course se déroule le 17 juillet 1927 sur un parcours en triangle de 13 km avec arrivée dans la côte d’Yffiniac où de jolies dames en toilette ont trouvé place dans des tribunes. Au total 200.000 spectateurs. Un succès à la hauteur des espérances de Rosengart, mis à part le scandale causé par la seule femme pilote de la course : elle avait stoppé son bolide au bord de la route et retroussé ses jupes pour satisfaire un besoin pressant.

 


Pour en savoir plus …

Lucien Rosengart à la première personne, par Philippe Argoud, René Follezou et François Thomas (ouvrage édité par la Chambre de Commerce et d’Industrie des Côtes-d’Armor, rue de Guernesey à Saint-Brieuc ; contact : 02.96.78.62.00). 1927 – 200.000 spectateurs pour la Coupe Florio à Yffiniac par Hervé Queillé (Hors-série Le Télégramme, 1999).

Le Télégramme – Photo Lionel Samson

Publié le 21 septembre 2008